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Prégabaline et malformations congénitales : fausse alerte !


Mise à jour : 5 juillet 2022



Une alerte de juin 2022 signale un risque augmenté de malformations congénitales majeures chez les enfants exposés in utero à la prégabaline (Lyrica®) au 1er trimestre de la grossesse (1). Les malformations concernées seraient principalement des anomalies du système nerveux central, de l’œil, de l’appareil uro-génital et des fentes faciales.

Cette alerte repose sur les résultats d’une étude de sécurité post-AMM commandée en 2018 par l’Agence Européenne des Médicaments (EMA) au laboratoire Pfizer et coordonnée par des équipes de recherche de 4 pays européens. Les résultats de cette étude ont été communiqués à l’EMA en juin 2020 (2).

Qu’en penser ?


1. RETOUR SUR L’ETUDE CONCERNEE

 Méthodologie

L’étude conduite par Toft et coll. est une étude de cohorte en population réalisée à partir des données issues des registres de 4 pays européens (registres des naissances, registres de prescriptions et registres médicaux).

Entre 2005 à 2016, l’ensemble des enfants nés vivants ou mort-nés dans ces 4 pays ont été inclus (mort-nés : 22 semaines d’aménorrhée (SA) ou plus, sauf pour la Suède, 28 SA ou plus).
Les grossesses exposées à un médicament tératogène au 1er trimestre n’étaient pas incluses, de même que les fœtus/enfants porteurs d’une anomalie chromosomique.
Les malformations congénitales majeures (MCM) diagnostiquées jusqu’à l’âge de 1 an des enfants ont été retenues et classées selon la classification européenne EUROCAT (3).

Pour l’analyse des MCM, les femmes du groupe « exposé » sont celles qui avaient reçu au moins une prescription de prégabaline au 1er trimestre de la grossesse. Plusieurs groupes de comparaison ont été définis : un premier groupe de femmes "non-exposées ni à un anticonvulsivant ni à la duloxétine", un second groupe "exposées à la lamotrigine", un troisième "exposées à la duloxétine", et un quatrième "exposées à la lamotrigine et/ou à la duloxétine".

Les analyses ont été ajustées (score de propension) sur de nombreux facteurs de confusion : année de naissance, gémellité, âge des mères, statut marital, consommation de tabac, obésité, présence de comorbidités (diagnostics hospitaliers ou prescriptions en lien notamment avec les pathologies suivantes : migraine, troubles neurologiques, psychiatriques, hypertension artérielle, diabète, asthme, …) ou encore nombre de consultations en ville ou à l’hôpital l’année précédant la conception. L’exposition à d’autres médicaments en cours de grossesse a également été prise en compte (antidépresseurs, antipsychotiques, antalgiques, antihypertenseurs, antiinfectieux…).

 Résultats relatifs aux malformations congénitales majeures

Plus de 3 millions de naissances ont été incluses dans cette étude de cohorte, pour un total d’un peu plus de 2900 femmes exposées à la prégabaline en mono- ou polythérapie en cours de grossesse (pour près de 95% uniquement au 1er trimestre).

Les femmes du groupe "prégabaline" présentent plus de comorbidités et sont plus souvent fumeuses et exposées à d’autres médicaments durant leur grossesse que les femmes "non-exposées". La prégabaline était le plus souvent indiquée dans le trouble anxieux généralisé, puis en second lieu, comme la duloxétine, dans la prise en charge de douleurs neuropathiques. A l’inverse, la lamotrigine était principalement prescrite chez des femmes épileptiques.

En comparaison aux femmes "non-exposées", les auteurs ne mettent pas en évidence d’association significative entre une exposition à la prégabaline en mono- ou polythérapie au 1er trimestre de la grossesse et la survenue de MCM : Risque Relatif ajusté (RRa) poolé pour les 4 pays de 1,13 (IC à 95 % [0,97-1,33]).
En comparant les femmes du groupe "prégabaline" aux groupes "lamotrigine", "duloxétine" et "lamotrigine et/ou duloxétine", aucune association significative n’est mise en évidence en analyse univariée. Cependant, des risques de MCM significativement augmentés sont retrouvés après ajustement : RRa 1,36 (IC à 95 % [1,07-1,72]) en comparaison avec la lamotrigine et RRa 1,37 (IC à 95 % [1,06-1,77]) en comparaison à la duloxétine.
Les analyses restreintes aux expositions à la prégabaline en monothérapie ne modifient pas les associations précédentes.

Un risque augmenté de malformations du système nerveux central, de l’appareil uro-génital, des yeux, et de la face (fentes) est retrouvé, essentiellement lorsque les femmes exposées à la prégabaline sont comparées à des femmes exposées à la lamotrigine, à la duloxétine, ou à la lamotrigine et/ou à la duloxétine. Pour les malformations oculaires, des analyses complémentaires ont été conduites sur les données suédoises, à différents âges des enfants. A 1 an, le RRa est de 2,71 (IC à 95 % [1,22-6,02]), mais à 2 ans, 3 ans et 4 ans, les RRa ne sont plus significatifs.

Les auteurs concluent que leurs résultats sont en faveur d’une absence substantielle d’association entre une exposition in utero à la prégabaline et la survenue de MCM, et que les associations positives retrouvées doivent être interprétées avec précaution notamment du fait des petits effectifs concernés. Les auteurs ajoutent que ces conclusions sont similaires à celles d’autres études précédemment publiées.

2. L’ANALYSE CRITIQUE DU CRAT

Après ajustement, aucune augmentation du risque de MCM n’est retrouvée chez les enfants dont la mère a reçu de la prégabaline au 1er trimestre de la grossesse, en comparaison à des enfants de mères non-exposées.

Les résultats observés lorsque les femmes exposées à la prégabaline sont comparées à des femmes exposées à la lamotrigine, à la duloxétine, ou à la lamotrigine et/ou à la duloxétine sont surprenants : alors qu’aucune association significative n’est observée en analyse univariée (RR bruts), une faible augmentation du risque de MCM est mise en évidence après ajustement.
En prenant comme groupe de comparaison des femmes exposées à la lamotrigine ou à la duloxétine, l’objectif était d’assurer une plus grande comparabilité entre les femmes exposées à la prégabaline et les autres, en s’affranchissant notamment autant que possible d’un éventuel biais d’indication liée à la pathologie sous-jacente. Or, les indications et l’utilisation pratique de ces trois médicaments ne sont pas tout à fait superposables : si la prégabaline est largement utilisée dans les douleurs neuropathiques, ceci est moins le cas pour la duloxétine, et pas du tout pour la lamotrigine. Ces groupes de comparaison et le groupe "prégabaline" ne sont donc potentiellement pas aussi comparables que souhaité. Des facteurs de risques de malformations congénitales non pris en compte, dont la prévalence diffère entre les groupes, pourraient ainsi expliquer ces résultats singuliers (i.e. association devenant significative après ajustement).
Ceci pose la question de l’existence d’un biais de confusion résiduel, qui n’est pas discuté par les auteurs du rapport.

Concernant les associations significatives retrouvées pour certains sous groupes de MCM, les auteurs du rapport indiquent à juste titre que ces résultats doivent être interprétés avec précaution. Nous partageons cet avis, sur la base des éléments et limites suivants que les auteurs détaillent dans leur rapport transmis à l’EMA :

  • Aucune correction statistique sur les tests multiples n’a été effectuée.
  • Ces analyses sont conduites sur des petits effectifs, rendant les estimations précédentes imprécises. Pour certaines MCM, aucun cas n’était rapporté dans l’un ou plusieurs des 4 pays dans le groupe exposé à la prégabaline et/ou chez les femmes des groupes duloxétine ou lamotrigine. Or, les méthodes statistiques classiquement utilisées pour calculer des RR « poolés » (méta-analyses) ne permettent pas de tenir compte d’un effectif nul : en excluant le pays concerné, l’un des risques est de conclure à tort à une association qui n’existe pas réellement (surestimation du risque). Des analyses statistiques complémentaires permettant de tenir compte de ces effectifs nuls ont été réalisées par les auteurs et tendent à aller dans le sens de cette hypothèse.
  • Pour les malformations oculaires, l’association significative retrouvée lors du suivi des enfants à 1 an n’est plus retrouvée à des âges ultérieurs. Il est possible que les enfants exposés in utero à la prégabaline bénéficient d’une surveillance médicale accrue, se traduisant par des diagnostics plus précoces de malformations oculaires chez eux que chez les enfants non-exposés. Ce biais d’identification des cas pourrait être retrouvé pour d’autres types de MCM. 

Par ailleurs, on peut regretter qu’aucun détail sur la nature précise des MCM identifiées ne soit apporté dans ce rapport, en dehors de leur appartenance à un « groupe » de malformations (système nerveux central, appareil uro-génital, …).


EN CONCLUSION

 A ce jour, compte tenu :

  • de l’absence d’augmentation significative du risque de malformation congénitale majeure chez les femmes exposées à la prégabaline dans l’étude de Toft et coll., en comparaison à un groupe de femmes non-exposées,
  • des critiques sur la validité des résultats significatifs de cette étude,
  • des résultats des précédentes publications, qui compte tenu des points forts et des limites méthodologiques de chacune ne permettent pas de retenir une augmentation du risque de MCM en cas d’exposition à la prégabaline au 1er trimestre de la grossesse (4-7),

le Centre de Référence sur les Agents Tératogènes (CRAT) considère qu’il n’est actuellement pas justifié d’inquiéter une patiente exposée à la prégabaline au 1er trimestre de sa grossesse au regard d’un éventuel risque malformatif.
Cet avis est partagé par d’autres experts en vigilance pré et postnatale membres du réseau ENTIS (European Network of Teratology Information Services) (8).

 Dans ce contexte, le CRAT déplore qu’une interprétation erronée des données de ce rapport ait conduit à la diffusion d’informations indument alarmistes pour les professionnels de santé et les patientes.

 Nous pouvons également nous étonner qu’un rapport remis en juin 2020 à l’EMA soit le support d’une alerte en France en juin 2022.

Les informations sur l’usage de la prégabaline chez une femme enceinte ou souhaitant une grossesse peuvent être trouvées en consultant la page dédiée de notre site : "Prégabaline – grossesse et allaitement".


1. Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des produits de santé (ANSM). « Le risque de malformation chez les enfants exposés pendant la grossesse à la prégabaline est confirmé ».). 29 juin 2022. Disponible en ligne : https://ansm.sante.fr/actualites/le-risque-de-malformation-chez-les-enfants-exposes-pendant-la-grossesse-a-la-pregabaline-est-confirme
2. Toft G, Ehrenstein V, and Asomaning K. EUPAS Regsiter Non-Interventional Final Study Report ; A population-based cohort study of pregabalin to characterize pregnancy outcomes. 2020. Disponible sur  : https://www.encepp.eu/encepp/viewResource.htm?id=36881.
3. EUROCAT - European network of population-based registries for the epidemiological surveillance of congenital anomalies. Disponible en ligne : https://eu-rd-platform.jrc.ec.europa.eu/eurocat/eurocat-network_en. 29 juin 2022.
4. Winterfeld U, Merlob P, Baud D, Rousson V, Panchaud A, Rothuizen LE, et al. Pregnancy outcome following maternal exposure to pregabalin may call for concern. Neurology. 14 juin 2016 ;86(24):2251‑7.
5. Patorno E, Bateman BT, Huybrechts KF, MacDonald SC, Cohen JM, Desai RJ, et al. Pregabalin use early in pregnancy and the risk of major congenital malformations. Neurology. 23 mai 2017 ;88(21):2020‑5.
6. Cohen JM, Leinonen MK, Alvestad S, Bjørk MH, Cesta CE, Einarsdottir K, et al. Comparative Safety of Antiepileptic Drugs and Risk of Major Congenital Malformations. Pharmacoepidemiology and Drug Safety, Wiley, 2019, Vol28, pp 13-14AND. 2019.
7. Blotière PO, Raguideau F, Weill A, Elefant E, Perthus I, Goulet V, et al. Risks of 23 specific malformations associated with prenatal exposure to 10 antiepileptic drugs. Neurology. 9 juill 2019 ;93(2):e167‑80.
8. Richardson L, Diav-Citrin O, Damkier P. Official Communication from the ENTIS Scientific Committe - ENTIS Board and Scientific Committee highlight their concerns with recent updates to the Lyrica SmPC and PIL to the EMA PRAC - Avril 2022. Disponible en ligne : https://www.entis-org.eu/entis-news/entis-board-and-scientific-committee-highlight-their-concerns-with-recent-updates-to-the-lyrica-smpc-and-pil-to-the-ema-prac



 La prégabaline (Lyrica®) est principalement utilisée dans la douleur neuropathique et le trouble anxieux généralisé, ainsi que dans une moindre fréquence dans l’épilepsie.
 La duloxétine (Cymbalta®) est un antidépresseur IRSNa utilisé dans la dépression, la douleur neuropathique ou le trouble anxieux généralisé.
 La lamotrigine (Lamictal®) est utilisée dans le traitement de l’épilepsie et des troubles bipolaires.